Derrière la question de la pertinence ecclésiale aujourd’hui se cache le rapport entre l’Église et le monde. L’Église doit-elle s’y fondre? s’y adapter? s’y articuler? Ou nous proposer de «voir le monde autrement»? Pierre Gisel est professeur honoraire de l’Institut religions, cultures et modernité de la faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne.
L’Église ne doit pas s’imaginer comme contre-modèle social, ni ne doit non plus se vouloir communauté idéale. Elle a à restituer, au cœur du social, des questions décalantes et hétérogènes, et à les rendre fructueuses pour le monde et l’humain. L’Église n’est pas appelée à apporter un «plus», mais à faire voir le monde autrement. L’orienter autrement, ou en proposer une autre habitation. […]
Poser d’emblée que l’Église a pour tâche ou mission de témoigner d’un hétérogène (en dernière instance, de la transcendance, et ce qu’en christianisme on appelle Dieu) et de le faire fructifier dit que l’Église n’a pas d’abord à s’adapter au monde. S’y articuler, oui. Le prendre tel qu’il est, oui toujours. Mais non s’y fondre.
On ne soutiendra dès lors pas une pente simplement sécularisante. C’est que ce que l’on nomme sécularisation présente plusieurs facettes, à bien discerner, et des ambivalences, comme toute réalité humaine et historique: de bonnes choses, à valider, et d’autres pernicieuses, à contester. Tel, ici, un trend neutralisant toute question de fond, homogénéisant et incapable de rendre fructueuse toute différence forte, inassimilable ou résistante. Quitte à abandonner le social à des «retours» sauvages, dits incompréhensibles. […]
Il est aujourd’hui de bon ton de dire que les Églises, et plus globalement les traditions religieuses, ont à s’adapter au social donné. La proposition a une part de vrai, bien sûr, mais est, telle quelle, unilatérale.
Comme les autres traditions religieuses, tout au moins celles qui ambitionnent d’être reconnues et de trouver une place dans la société, l’Église a continûment à retravailler ce qu’elle est et ce qu’elle vise. Et à se reconfigurer pour aujourd’hui, au cœur du socioculturel contemporain. Ce n’est pas toujours simple et expose au risque soit de libéralismes simplement adaptatifs, soit de crispations identitaires. On n’y échappera que si l’on est au clair sur ce qui fait sa vérité et qu’on le remet sur le métier. […]
Touchant l’Église, les paroisses se sont trouvées débordées par toutes sortes de rassemblements en forme et revendication d’Église, mais n’émargeant pas au quadrillage territorial qu’elles assuraient. À quoi s’ajoute que le religieux contemporain peut s’organiser autrement qu’en termes de rassemblements (des retraites, pèlerinages, rites divers, autres encore). D’où, comme on dit depuis peu, de l’Église fluide ou «liquide», sur fond de société elle-même «liquide», avancent des sociologues.
Ces extraits proviennent de l’article «Quelle pertinence pour l’Église aujourd’hui?» de Pierre Gisel. Ils sont disponibles dans le n°46 de la Revue des Cèdres: L’Eglise, pour y venir.