La souffrance a-t-elle un sens ? Olivier Bauer, professeur à l’Institut lémanique de théologie pratique à l’Université de Lausanne, nous emmène dans une réflexion philosophique sur la souffrance et sa finalité.
Une seule question : la souffrance peut-elle avoir une fin ? Une fin comme dans l’expression «la fin justifie les moyens ». Une fin comme un but vers lequel la souffrance se dirigerait, vers lequel la souffrance nous dirigerait. Une fin qui ferait sens. Une fin qui donnerait du sens à ce que je vis, à ce que je meurs. Un sens unique, un sens obligatoire ; dans la vie vers la mort. Une fin comme la pointe de la flèche du temps, comme la direction vers laquelle elle tend. Une souffrance qui aurait un sens. Alors, non pas une souffrance gratuite – souffrir pour souffrir, souffrir pour mourir –, mais une souffrance qui coûterait, une souffrance que l’on paierait et que l’on paierait cher. Une souffrance qui viendrait comme la conséquence des fautes d’un passé, proche ou lointain : les fautes d’hier, les fautes de mes ancêtres, les fautes d’une autre vie. Une souffrance qui serait comme une malédiction ; une souffrance qui serait comme une expiation. Une souffrance qui serait un sens, qui donnerait un sens à l’existence. Je serais né pour souffrir, comme je serais né pour mourir […] Une souffrance dont on ferait la promesse d’une vie meilleure. D’une vie sans souffrance – y a-t-il un contraire à la souffrance ? Mais dans une autre vie, une autre fois, là- haut, peut-être. Une souffrance qu’on penserait comme un investissement; souffrir aujourd’hui pour ne pas souffrir plus tard. Curieuse logique, marché de dupe; mais un espoir, un espoir qui ferait vivre; qui permettrait de vivre dans la souffrance, malgré la souffrance.
Toujours la même question : la souffrance peut-elle avoir une fin ?
Une fin comme dans un film, quand les deux mots « The end » s’inscrivent en surimpression sur le dernier plan. Une fin comme dans un film, sans que l’on sache vraiment ce qui finit ainsi, ce qui finit alors : une souffrance qui cesse dans une vie qui continue ; la souffrance qui s’arrête parce que la vie s’arrête elle aussi. Toujours «The end», mais avec ou sans points de suspension […]
Toujours la même question, la souffrance peut-elle avoir une fin ? Et par conséquent toujours la même réponse. Une réponse théologique, une réponse croyante. Toujours la même réponse, mais une réponse double : un « oui » et un « non » tout à la fois réponse paradoxale, réponse contradictoire : «oui» et «non», en même temps. «Oui» à la fin comme un terme ; « non » à la fin, comme un sens. Oui, la souffrance a une fin; oui, la souffrance a un terme. Oui, la souffrance finit par finir ; oui, elle prend fin : aujourd’hui, demain ou après-demain ; dans la vie ou avec la mort, une mort qui peut donc aussi venir comme une délivrance.
Mais non, la souffrance n’a jamais de fin; car la souffrance n’a jamais de sens. Mais non, la souffrance est et reste insensée; elle ne dit rien, elle ne paie rien, elle ne rachète rien, elle ne compense rien. Elle fait mal ; elle n’est bonne qu’à ça ou plutôt, elle n’est mauvaise qu’à ça. Car il n’y a rien de bon dans la souffrance ; elle ne sait que faire mal, elle ne fait que faire mal ; et c’est tout. Elle ne fait que faire du mal et c’est moins que rien.
Réponse théologique, réponse croyante, la souffrance est insensée. Réponse théologique, réponse croyante : « Malgré le mal et la souffrance, je crois que Dieu a fait le monde pour le bonheur et pour la vie. »
Cet extrait provient de l’article « La souffrance. Son cœur, son choc, sa fin », de Olivier Bauer. Il est disponible dans le n°50 de la Revue des Cèdres : Accompagner la souffrance.