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Mon histoire: l’identité comme cheminement

D’où vient l’importance du récit de conversion dans le monde évangélique? Quels sont ses liens avec la communauté? Quelles spécificités? Philippe Gonzalez est maître d’enseignement et de recherche à l’Institut des sciences sociales de la faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne.

La conversion et son récit constituent un élément saillant de l’évangélisme. Il résonne avec un impératif culturel qui valorise la subjectivité du croyant. Or, cette situation contemporaine est le résultat d’un triple processus historique. C’est d’abord l’apparition du genre autobiographique, lors de la Renaissance, et sa démocratisation au cours du XVII e siècle. Par ailleurs, les brèches ouvertes par la Réforme au sein de la chrétienté poussèrent les prédicateurs, notamment jésuites et puritains, à solliciter des croyants une conversion plus profonde que la simple adhésion à la religion officielle du prince. En dernier lieu, les campagnes de Réveil qui, dès le XVIIIe siècle, s’adressaient à des foules déboussolées par les changements rapides survenus dans leur société (colonisation du Nouveau Monde, révolution industrielle) rendaient désormais possible de recomposer de nouvelles communautés fondées sur un choix religieux.

Ce constat historique, loin de relativiser l’expérience religieuse du croyant, indique que celle-ci est toujours le résultat d’une dialectique entre l’individu et la communauté à l’horizon d’une société. À cet égard, le récit (de soi) opère une médiation, comme l’écrit Paul Ricœur, «entre l’homme et le monde, entre l’homme et l’homme, entre l’homme et lui-même». Il est un moyen réflexif et pratique pour se rapporter à soi, aux autres et au monde, tant dans ce qui nous arrive que dans ce que nous pourrions y accomplir.

Le témoignage de conversion évangélique possède ces caractéristiques: il relit la vie du croyant d’après le triptyque «création, chute, rédemption», accordant une place éminente au sacrifice expiatoire du Christ, selon une conception dite de la «substitution pénale» qui pose que Jésus aurait subi, en lieu et place du croyant, la condamnation à mort exigée par la justice de Dieu. C’est là un récit canonique dans le monde évangélique qui permet au croyant tout à la fois de ressaisir l’intrigue de sa vie au moyen de cette matrice interprétative, proposer cette même matrice à son interlocuteur (en attente de conversion) pour qu’il en fasse la grille de lecture de son existence, et affirmer son appartenance à l’évangélisme.

Cet extrait provient de l’article «Nos histoires et nos conversations: identités, traditions, communautés» de Philippe Gonzalez. Il est disponible dans le n°46 de la Revue des Cèdres: L’Eglise, pour y venir.