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L’exil comme facteur de transformation

Il est parfois difficile de se représenter les défis qui jalonnent le chemin des personnes qui ont dû quitter leur pays, sans trop savoir ce qui les attendrait à la fin de leur long voyage de migration. Leurs témoignages sont précieux pour nous aider à mieux cerner leurs histoires de vie. Mamadou Keita (nom d’emprunt) nous relate sa propre expérience de la migration en tant que requérant d’asile de Guinée-Conakry en Suisse depuis deux ans.

Pour créer ma définition de l’exil, je m’inspire des propos d’Olivia Bianchi, docteure en philosophie[i]. Je vis l’exil comme une privation, une coupure, une fracture et une perte de mon origine. Il m’a changé de vie et m’a fait recommencer tout à zéro. Je suis victime d’un exil forcé qui n’atteint pas seulement mon corps, mais aussi ma conscience. Ma conscience se projette ailleurs à la recherche de sécurité, de tranquillité et de paix. Pour survivre j’ai dû m’exiler. J’ai perdu dans l’exil mes amis, mes parents, mes proches et la vie. J’ai l’impression de n’avoir devant moi qu’une partie de mon existence avec quelques souvenirs seulement. Je suis un homme déraciné qui vit son exil comme si je goûtais la mort. Mon exil dépasse de loin la question de l’appartenance à une terre. Je ne pleure pas de ne plus appartenir à une terre, mais je pleure d’avoir perdu le rapport que j’ai eu avec toutes les personnes de mon pays que je connaissais et qui me définissaient. Je me sens puni, privé des contacts humains pour une durée encore indéterminée. Je suis contraint d’être arraché à ma terre, condamné à l’errance pour une destinée que je ne connais pas et que je ne maîtrise pas du tout.

Entre frustration et espoir

Arrivé en Suisse, j’ai déposé ma demande d’asile. Après trois mois, j’ai reçu une réponse négative avec une non-entrée en matière sur ma demande. J’ai fait un recours pour que ma demande puisse être examinée. Depuis ma deuxième audition, je suis toujours dans l’attente. Aujourd’hui, je vis une procédure d’asile qui s’avère longue, complexe et stressante. L’incertitude, l’espoir, la patience, la peur, l’attente, le découragement, l’angoisse, la persévérance, la dignité, la tension, la crainte, la reconnaissance, la défiance et beaucoup d’autres sentiments mêlés, intenses, participent à mon expérience de vie où la souffrance silencieuse est quotidienne. La peur constante de parler publiquement, d’en dire trop, ce qui pourrait entraver mon intégration ou enclencher une procédure de renvoi est permanente.

Intégration

Je suis dans un pays très différent du mien. Et pour m’intégrer, il m’a fallu changer de vie et tout recommencer à zéro. J’ai dû faire preuve de patience pour mon intégration. Ayant des diplômes professionnels qui ne sont pas du pays d’exil, je dois alors produire une équivalence ou reprendre les études supérieures. En ayant toujours un permis de séjour incertain et ne sachant pas si je serai autorisé à demeurer ou pas en Suisse, il s’avère difficile de trouver un emploi. J’ai le droit de travailler mais je dépend du bon vouloir d’un employeur d’engager un employé précaire.

Il se pourrait que trouver de l’emploi ne tienne qu’au bon vouloir de l’employeur ou de la chance.

En attendant

Je n’ai pas réussi à trouver un emploi, mais je ne suis pas resté inactif non plus. Le programme intercantonal Voix d’Exils m’a permis d’être actif pour une durée de douze mois. J’ai eu l’occasion de participer et de mener plusieurs projets grâce à ce programme. Nous écrivons des articles sur le thème de la migration qui sont publiés sur le site d’informations voixdexils.ch. J’ai aussi participé à d’autres projets comme : « Migration in Mind » de l’Arc Artistic Residency à Romainmôtier et « Bienvenue en Suisse ? » de l’association Traits d’asile à Lausanne. « Migration in Mind » est un événement dont le but était d’offrir aux visiteurs une vision 360° sur le phénomène de la migration. « Bienvenue en Suisse ? » est une exposition pour expérimenter le parcours du demandeur d’asile. De plus, j’ai participé à un projet pédagogique de l’Ecole d’Etudes Sociales et Pédagogiques-Lausanne (EESP) qui permet aux requérants d’asile ayant un niveau universitaire d’avoir accès gratuitement à des études pour six mois comme auditeur. J’ai eu l’opportunité d’être retenu dans deux modules concernant la politique sociale et la pensée critique. Je persévère toujours pour améliorer mon intégration effective. Toutes ces activités partagées ont contribué à développer de nouvelles compétences et à élargir mon réseau de connaissances.

Mais sachant qu’au pays des Helvètes l’intégration passe par le marché du travail, il va me falloir encore beaucoup de temps pour m’intégrer.

[i] Olivia Bianchi, « Penser l’exil pour penser l’être », Le Portique [En ligne], 1-2005

 

« L’exil comme facteur de transformation » de Mamadou Keita (nom d’emprunt). article disponible dans le n°47 de la Revue des Cèdres : L’exil comme royaume.